Le géographe Rémy_Knafou dénonce un emballement médiatique autour du terme « surtourisme ». Le surtourisme surmédiatisé. La presse et les réseaux sociaux en font régulièrement état : ces foules entassées sur une plage espagnole ou devant le coucher de soleil d'une île grecque, ces quotas mis en place sur des sites naturels excessivement piétinés par des visiteurs parfois indélicats L'île de Bréhat (Côtes-d'Armor) a d'ailleurs reconduit un quota de visiteurs depuis le 28 juillet, s'inscrivant dans la longue liste des sites qui ont pris des mesures drastiques pour limiter les conséquences de la surfréquentation. Mais pour le géographe Rémy Knafou, qui ne nie pas les dysfonctionnements et les nuisances générés par des flux touristiques en croissance, le terme « surtourisme » n'est pas toujours employé à bon escient. Quels sont les critères qui définissent le surtourisme ? On en identifie généralement trois. Quand le nombre de touristes est jugé excessif en raison d'une atteinte à la qualité du lieu, que ce soit un lieu de nature ou de culture. Dans ce type de cas, bien évidemment, il ne doit pas y avoir de surtourisme. Mais, normalement, ce sont des espaces gérés par une autorité qui a reçu la mission de conserver le site en état. Quant au deuxième critère, il n'y a pas de recette miracle pour y remédier : c'est l'acceptabilité du tourisme par une part notable de la société d'accueil. Le problème se pose dans deux types de situations qui peuvent se cumuler : lorsque le marché est profondément déstabilisé par la confrontation entre le pouvoir d'achat des touristes et celui de la population locale le cas d'école étant Barcelone et les conduites inappropriées ou irrespectueuses à l'encontre de la population. Tapage nocturne, ébriété dans l'espace public C'est pourquoi la municipalité d'Amsterdam a engagé des salariés pour expliquer aux visiteurs du quartier rouge que des gens y habitent et qu'il faut adopter des comportements plus respectueux. Le troisième critère, auquel j'ai cru moi-même un certain temps, c'est quand le nombre excessif de touristes nuit à la qualité de l'expérience. Cela peut paraître un critère de bon sens. Or, les expériences de terrain répétées, en particulier à Venise, montrent que ce n'est probablement pas une bonne analyse. Tout en notant une fréquentation croissante, je n'ai pas perçu de signe d'agacement de la part de ceux qui visitaient la ville. Ceux qui sont le plus indisposés ne viennent plus, tout simplement Mais ils sont immédiatement remplacés par ceux qui n'ont jamais vu Venise avant et qui sont très satisfaits. - Voit-on du surtourisme là où il n'y en a pas ? On en voit un peu partout, y compris dans des lieux où ça n'a pas de sens : ceux qui ont été créés par et pour le tourisme, autrement dit les stations touristiques, faites pour être fréquentées à leur capacité maximale voire plus en période de pointe. - Pour vous, le surtourisme est donc un terme galvaudé médiatiquement Il est utilisé trop souvent sans précaution, sans savoir qui décide qu'il y a surtourisme. Les situations de surfréquentation existent depuis longtemps mais, avant, le mot n'existait pas. Le terme overtourism est apparu à l'écrit en 2008 avant d'être repris par les médias, à partir de 2016, avec un très grand succès. Ce mot est très commode car il recouvre tout un tas de situations, y compris une définition du surtourisme qui signifierait que le tourisme lui-même est de trop. Si je suis critique du processus de touristification quand les autorités locales ne cherchent pas à contrôler ce processus, je ne fais pas partie de ceux qui pensent qu'il suffit de dire que le tourisme ce n'est pas bien pour que ce phénomène, qui touche des milliards d'habitants sur Terre, disparaisse pour autant. C'est un phénomène qui va aller croissant, donc il faut faire avec. - Qu'est-ce que cela dit de notre rapport au tourisme ? Beaucoup de choses intéressantes qui ont des racines anciennes. Le mot touriste est une invention de la fin du XVIII e siècle qui désignait les jeunes hommes de la haute société britannique pratiquant le grand tour, leur voyage initiatique. Ce n'est que 30 ans plus tard qu'on a utilisé le mot tourism pour qualifier l'embryon du système qui permet de faciliter ce voyage. Et, déjà, on a des témoignages de touristes qui ne sont que quelques dizaines et qui trouvent qu'il y a trop de monde. La touristophobie fait partie de l'histoire longue du tourisme. Elle n'est pas nouvelle mais se réinvente à chaque période. Et le succès du mot surtourisme sert aussi à entretenir cette fausse opposition entre le voyageur et le touriste. - C'est-à-dire ? Plus le système touristique s'est développé, raffiné, plus il a conquis d'adhérents qui avaient la nostalgie d'un système qu'ils n'ont pourtant pas connu. Ceux-là n'ont jamais accepté d'avoir à partager les lieux avec le gros de la troupe, c'est-à-dire le tourisme de masse. Le voyageur, ce serait celui qui est intelligent, cultivé, qui a les moyens, qui va apprécier la culture locale C'est une manière de se distinguer des autres. C'est quelque chose qui est propre aux situations touristiques : le touriste ne se pense pas toujours touriste et aime à se démarquer des autres tout en faisant la même chose en même temps que les autres. Or, le touriste n'est pas un découvreur, c'est quelqu'un qui va sur des chemins balisés. - En quoi ces discours médiatiques sur le surtourisme peuvent servir des intérêts commerciaux ? Tous ceux qui tirent leurs revenus de la commercialisation de voyages dit « hors des sentiers battus » considèrent évidemment que la dénonciation du surtourisme est du pain bénit. On vient de le dire, le tourisme est un commerce de distinction. Plus il y a du tourisme de masse, plus certains ressentent le besoin de se distinguer de la masse. - Vous espérez que le secteur se tourne vers une « transition juste ». Que cela signifie-t-il ? C'est une transition qui essaie à la fois de coupler la diminution des prélèvements d'énergies fossiles et les rejets de gaz à effets de serre contribuant au réchauffement climatique et de s'intéresser davantage à la population qui ne part pas régulièrement en vacances. Je défends un tourisme plus vertueux eu égard aux enjeux climatiques et plus égalitaire. Après, les moyens, c'est une autre histoire. Pour le volet « augmentation du taux de départs en vacances », cela passe par une politique sociale plus active et la reconnaissance d'une forme de droits aux vacances, qui sont un élément de cohésion sociale et d'amélioration du bien-être de la population. Le volet environnemental est bien plus difficile à envisager. Cela passera par l'évolution des politiques de sobriété et par l'évolution des pratiques touristiques, ce qui demandera du temps. Plus il y a du tourisme de masse, plus certains Ressentent le besoin De se distinguer. Je défends un tourisme plus vertueux eu égard aux enjeux climatiques et plus égalitaire.